samedi 25 avril 2015

La transatlantique

Loin de l'imaginaire tempêtueux, calqué sur les récits du capitaine Achab alors en chasse de Moby Dick, la transatlantique n'est pas entreprise risquée. Bien sûr, à toute activité sa période, et si la conscience collective nous préserve de la dangereuse baignade de minuit soir de saint Sylvestre, il en va de même pour la traversée où les cycloniques Antilles sont à proscrire de Juin à Octobre. Précautions prises, je peux m'adonner sereinement à alimenter mon temps libre d'activités, sans projet autre que l'émerveillement : admirer le soleil, infatigable, traçant sa course sans fin, lire l'histoire que me conte le ciel au travers de ses volumes nuageux, regarder la vie sauvage se laisser surprendre par notre curieuse présence et, bien sûr, déchiffrer les mythes des constellations nocturnes. Mais Loin de moi l'idée de s'oublier dans ce paradis vierge, je m'attelle également à des activités à forte valeur ajoutée: flûte irlandaise, prose éclairée et croquis avant-gardiste.
Le temps de prendre son temps, se redécouvrir, faire pas à pas le chemin de la "liberté".
Pas à pas, et non plus vite, car nous mettrons un mois à traverser. Partis le 21 Mars de La Rochelle, nous arrivons le 21 Avril à Saint-Martin, exit Tortola, comme prévu initialement. Sept noeuds de moyenne, soit un petit treize kilomètres par heure, vitesse à laquelle Mr Dupond enfourche sa bicyclette, mal réveillé, pour rejoindre eco-respectueusement son lieu de travail. Mais l'Atlantique, à 13 km/h, c'est une autre paire de Manche. Pouf, pouf. "Mais que faisaient-ils dans cette galère?" Pouf, pouf. Nous ne sommes pas à plaindre dans notre petit appartement, 80 m² habitables, 150 m² de terrasse, à 13 km/h entre nul part et plus loin. Ma petite île à moi, avec sa petite plage, qui dérive tranquillement.
La pêche est fructueuse au sortir des Canaries, deux thons obèses dit "big eyes", trente-six kilos à tous les deux, rejoignent les bières au frigo. Une bonite de douze kilos s'y invitera le surlendemain. Je m'occupe à en tirer les filets, avec, en récompense, la bénédiction d'une bonne douche à l'eau de mer mais surtout l'autorisation de me rincer à l'eau douce. Car le dessal' est toujours en vrac, nous n'avons pas pu le réparer dans les îles espagnoles. Sale histoire pour un bateau qui, loué à la semaine, n'est pas sensé fonctionner sans. L'eau est donc réservée au strict minimum : café et eau de cuisson. Lessive et douche à l'arrivée. Pas de problème pour moi, je suis quelqu'un de propre donc pas besoin intrinsèquement de me laver. J'arrive même à "épargner" trois caleçons pour l'arrivée, à savoir combien j'en avais embarqués... Les faveurs du capitaine me permettront tout de même une seconde douche à l'eau de mer et le convoité rinçage à l'eau douce. On m'apprend sur le tard l'utilité des bains de soleil (l'étymologie douteuse de cette expression sort enfin de son ombre!), ils permettent l'assainissement de la peau et d'éviter entre autre les furonculoses liées à un défaut d'hygiène certain. J'en profite pour me frotter avec quelques rayons de soleil sous les bras et sur les fesses. Tout va bien.

En grandes lignes, cette traversée peut se décomposer en deux volets, le premier, du port de départ jusqu'au large du Portugal. La mer est dure, l'eau froide et le vent d'avantage. L'océan, à 11˚C, régule la température des cabines, sous la surface. L'air, le vent, chargé d'embruns salés, oscille entre 8 et 12˚C les belles journées. Belles journées que nous n'avons que trop peu côtoyées. Je m'emballe dans toutes les épaisseurs que j'ai à ma disposition, empilement stratégique de première et seconde peaux, polaire, sur-polaire puis salopette/veste de quart le tout assorti de quelques paires de chaussettes avec leurs bottes. Je tiens par ailleurs à remercier mon frère dans ses pérégrinations norvégiennes, ses premières peaux de "vikings" me furent fortes utiles. Atlantic crossing approved. Sur cette première étape, j'ai également fait la découverte, à mon insu, que tout ce qui entre en contact avec l'air salin ne sèche pas et a même la fâcheuse tendance à s'humidifier. C'est donc en humide artichaut humain que je fais mes quarts. Avec un vent à 25 noeuds, la température ressentie frise le très froid, voire un peu moins, le bonnet et les deux capuches sarcophages n'y changeront pas grand chose. C'est une expérience sublime, mais somme toute, plutôt fraîche. Disons que ça donne du cachet.
Heureusement, ce n'est que l'histoire d'une semaine, vivement le second volet.
Nous rattrapons rapidement les alizés tropicaux et les chaud courants océaniques, 27˚C sur la fin, pour le coup il fait chaud dans les cabines... J'abandonne petit à petit mes couches pour finir les quarts en short, tous poils au vent. Je n'ai d'ailleurs pas remis de chaussures depuis les Canaries, trois semaines pieds nus, quel sentiment de liberté. Bernard Moitessier vante la simple tenue d'Adam. Mais sans Eve dans les parages et surtout par respect pour l'équipage je ne m'y risque. Après la première fois, la prochaine fois.
Chaleur montante, l'inspiration me fuit, et je suis victime, contre mon gré, de l'adage des terres antillaises que nous rejoignons, soit "doucement le matin, tranquille l'aprem". La flûte rouille bon train, crobards et textes inspirés sont laissés de côté. Pourtant les étoiles sont avec moi toutes les nuits, plus spectaculaires que jamais, les quarts agréables et sereins, les poissons volent, même les danseurs font leur retour sur les derniers jours. Mais l'inhabituel ne l'est plus. L'expérience continue dans sa perfection mais la magie a cessé d'opérer. Aucun mal, on s'arrête rarement à la suite d'une belle première fois, non?
Et l'inconnu pointe le bout de son nez, de nouveau, à moi le pays de Garcia Marquez où je vais retrouver avec grande joie mes chers Cha, Rob & co.

Merci équipage, JP, Philippe, Alain et Christophe, pour ces franches marrades, bonnes bouffée, sérieuses discussions et belles histoires. Merci Christophe, capitaine, de m'avoir accepté à bord et fait confiance. Merci Nono de m'avoir fait découvrir la voile il y a quelques mois. Merci les padres. Merci Pierro, Loulou, de montrer l'exemple au grand frère. Merci Lano, Ju, Boulenger d'oser. Merci Cha, Rob de m'avoir donné une raison pour repartir. Merci à tous les ami(e)s, c'est un plaisir et une fierté de vous avoir.
Merci Esmeralda.

1 commentaire:

  1. Tout cela me laisse rêveur et envieux... En tout cas continue à bien en profiter l'ami !
    La bise sur le front

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