lundi 30 mars 2015

Rescue Ship

Samedi 28 Mars 2015, 18:30 TU, large des côtes marocaines, à 30 milles des terres les plus proches, nous repêchons une jeune âme sur le bord de la noyade, sûrement déportée des sols africains par les puissants vents et courants. Nous l'installons rapidement au chaud, dans notre carré, avec nourriture et eau pour qu'elle se refasse une santé. La fatigue l'atteint plus vite que nos offrandes et elle s'effondre sur les épais coussins, s'envolant vers le confort de ses rêves.
Je suis du dernier quart cette nuit là, 6h-9h. Je m'introduis délicatement dans le cockpit sans troubler son sommeil pour rejoindre le poste de barre. Les premiers rayons du jour la réveillent, visiblement rétablie de l'éprouvant épisode de la veille bien qu'elle n'ai toujours rien mangé. La petite hirondelle nous quittera quelques heures plus tard.

"Si tu peux rester, reste.
Pars s'il le faut."
lu dans B. Moitessier

Cap Finistère

Pointe espagnole du golfe de Gascogne, connu pour malmener les marins en son territoire, le Cap Finistère a confirmé sa puissance. Un sportif 35 noeuds s'y établit, montant jusqu'à 50 en rafales. Allant de paire, la mer se muscle, s'armant de creux vertigineux. Coquille de noix au milieu d'un jacuzzi. "Je dois livrer un bateau neuf" se dessine désagréablement sur les lèvres du capitaine aux yeux d'un bleu rincé par les années en mer. Cap S-E, direction Vigo, escale forcée pour laisser passer la tempête.
Après plusieurs milles sur ce nouveau cap, les derniers m² d'un foc bien enroulé fleurissent à l'horizon, au vent. L'ego du loup de mer, piqué au vif, reprend l'ascendant sur le convoyeur précautionneux, compas plein  S-O. "Baptême du feu" seront ses mots. Frappé, secoué, essoré mais restant trempé sont les miens.
Le monocoque, lièvre de notre lévrier, fit escale quelques milles après son apparition.

"Riche de ses expériences,
Jeune de ses rêves."

La vie à bord

Les journées à bord ont un rythme différent à celui que j'ai pu connaître à terre, le rythme des vagues, heurtant la carène sans discontinuité ni régularité, jours et nuits. La gite et le tangage transforment chaque action du quotidien comme un défi à part entière : lire, cuisiner, servir le café, tenir debout, manoeuvrer, maintenir son matériel dans un endroit précis, dormir et bien d'autres. Poséidon, ou un de ses confrères, m'a préservé du mal de mer mais il me faut tout de même quelques jours pour bien m'amariner. De régulières siestes permettent d'accélérer le processus et aussi, voire surtout, de se remettre de la constante sollicitation mentale et physique pour maintenir la projection de son centre de gravité à l'intérieur de son polygone de sustentation, soit dit : tenir debout sur ses pieds.

La journée
Un peu de lecture segmente nos riches discussions et les longues heures passées à scruter la lente approche de l'horizon sous le vent tandis que s'éloigne celui qui s'étale derrière nous. J'avance oreilles et yeux grands ouverts sur ce nouvel épisode de la vie, pleins phares sur l'omniprésent inhabituel.

La cuisine
Imaginez vous préparant votre met favori dans une caravane lancée à 20km/h sur une piste défoncée en pleine montagne. Ce n'est pas facile. Pour nous non plus, tout bouge, il ne faut rien renverser, rien casser, ne pas se brûler et en plus satisfaire l'appétit du capitaine!
Néanmoins nous mangeons comme des rois, frigo et congel' sont les bras droits du souvent à la tâche JP. En vrai capitaine Christophe a armé le bateau de quelques caisses de vins et bouteilles de spiritueux. Le déssal' est en vrac, nous rationnons l'eau, mais nous ne mourrons pas tous secs, sinon bien conservés dans l'alcool.

Les quarts
On peut parler de désert océanique où les rares caravanes berbères ont laissé place aux imposants cargos, suppliers, porte-conteneurs et super-tankers. Il faut conserver une veille visuelle toute la nuit pour éviter de croiser leurs indéroutables traces. Encore plus important, le vent, notre plus bel allié peut retourner sa veste en quelques secondes et devenir notre pire cauchemar. Un oeil vissé sur la girouette l'autre sur l'anémomètre nous alertent s'il faut rapidement changer de cap ou réduire la voilure. Nous avons divisé la nuit, de 21h à 9h, en quatre quarts de 3h, nous tournons chaque jour.
J'aime bien les quarts, principalement les deux premiers créneaux, seul esprit éveillé sur des centaines de milles à la ronde, roi du bateau, prince de cette nuit. En général aucune manoeuvre à déclarer et si je dois loffer ou abattre de plus de 15˚, réduire ou hisser, j'attrape le capitaine entre deux rêves et lui fait part de mes initiatives avant de mettre la bête en branle.
Seul, pas vraiment, ma compagne la lune illumine de son jeune croissant mille chiens fous, courants corps et âme entre elle et mon vaisseau, psychédéliques reflets sur la houle chaotique. Les nuits où elle ne souhaite me rendre visite, je noie mon amer chagrin dans la contemplation des ballets de dauphins, infatigables danseurs. Ils virevoltent au milieu des éclairs lumineux, fruits du plancton fluorescent, belle réplique à la somptueuse voûte étoilée.

Le lit
Pour ce qu'il en est de dormir à bord, je définirais la situation comme la combinaison du ballotage d'un foetus en son bienveillant ventre maternel et l'impuissante solitude d'une plume dans un tambour jour de carnaval. L'un dans l'autre je m'endors difficilement et rêve très bien.

"La plus triste des procrastinations est de ne pas vivre aujourd'hui"

L'équipage

Puzzle à quatre pièces qui se combinent relativement bien. Quatre personnalités hétéroclites qui se complètent plus que ne s'affrontent. Un charismatique capitaine, un grand cuistot, un nouveau voyageur à la quête de soi et moi. Oisillon sous l'oeil protecteur de ses trois aînés, 170 années de vagabondage et d'histoire me font face, j'en prends plein les mirettes!

Le Capitaine, Christophe
Fier régatier des 80's où il a couru avec et contre les grands noms que l'océan a connu, Christophe a du vent pour veine et de l'eau salée comme artère. Sérieux concurrent au concorde en volume de traversées, son année 2014 se résume à quatre transat' et une transpac'. Quelques balades pour le plaisir élèvent le compteur à plus de 290 jours sur l'eau. Je suis entre de bonnes mains "mine de l'air de rien" selon les propos du concerné.

Les équipiers, Philippe et Jean-Pierre
Inconnus du capitaine avant la traversée, JP vient prendre l'air jusqu'aux Canaries, noble pédagogue doublé d'un bon conteur il est également le rayon de soleil de nos cuisines. Philippe, lui, a pour projet la transatlantique en solitaire, il nous rejoint pour faire ses armes en équipage.

"Seul on va plus vite,
Ensemble on va plus loin"
proverbe Africain

La Rochelle - Las Palmas

Départ de la Rochelle samedi 21 Mars après 3 jours d'avitaillement et surtout de préparation du bateau (inventaire, gréage, montage des ancres, protections & co). Nous attendons le début d'après-midi pour nous battre contre le puissant courant de la marée du siècle. La dernière bouée du chenal dépassée nous hissons les quelques 58 m² de génois qui nous mèneront jusqu'au Sud de l'Espagne. Nous prenons le large, les derniers reliefs terrestres glissent lentement sous l'eau à la manière d'une Atlantide respirant ses ultimes bouffées d'air.
L'alizé nous poussera gentiment sur les 1400 milles nous reliant aux Canaries. Le Cap Finistère, pointe Galicienne, nous réserva son lot de surprises, grand vent, grande mer. Lisbonne, reine portugaise, nous accueille dans des eaux plus clémentes nous permettant de déployer pour la première fois nos lourds 84 m² de Grand Voile.
Bel oiseau toutes plumes au vent.
Le voyage continuera gaiement sur la quiétude de notre îlot à la dérive. Arrivée à Las Palmas, Gran Canarias le 30 Mars. Nous y laissons "Gey-Pi" notre chef avec regrets, d'avantage pour sa plaisante compagnie que sa grande cuisine. Ces quelques jours à terre vont nous permettre de réparer le dessalinisateur, prendre une douche et rincer les vêtements qui tiennent tous seuls avec le sel.
Ces dix jours en mer, à affronter un désert d'eau où les dunes se forment et se déforment plus vite que notre embarcation avance, m'ont plus que jamais donné l'envie de prolonger l'expérience pour traverser l'Océan, le vrai. Un petit mois de navigation nous sépare des Antilles, arrivée à Tortola prévue fin Avril.

Je vais essayer, en quelques articles, de vous retranscrire cette première fois, les temps forts et mes sentiments associés à cette étape de transatlantique.

"Vous autres, chevaliers errants, vivez en rêvant et rêvez en vivant"
M. Cervantes

mercredi 18 mars 2015

C’est pas l’homme qui prend la mer



Aujourd’hui départ pour la Rochelle où je retrouve Christophe et deux autres équipiers. Nous nous y rencontrons pour la livraison d’un Saba50, Catamaran plaisancier de luxe à convoyer vers les Iles Vierges Britanniques, Antilles. La transatlantique devrait durer entre 3 semaines et un gros mois, fonction de la météo. Si nous passons le golfe de Gascogne sans trop nous faire brasser nous ferons une escale à Las Palmas, Gran Canarias, sinon Espagne ou Portugal.

Christophe tient un blog presque à jour pendant la traversée : grandescroisieres.blogspot.com. Ce seront les seules nouvelles du bord.






Le sac à dos vient de se refermer, quelques bouquins, 2-3 crayons et les habituels Marley et Floyds pour m’accompagner dans toutes les situations.



Bon vent.

mardi 17 mars 2015

Suite


Pour l'éclat du jour des bonheurs en l'air
Pour vivre aisément des goûts des couleurs
Pour se régaler des amours pour rire
Pour ouvrir les yeux au dernier instant

Elle a toutes les complaisances. 

Paul Éluard

Pourquoi pas?



Septembre 2010.
Il y a plus de 4 ans, déjà. Il est grand temps de dépoussiérer ce carnet de voyage rappelant les heures de gloire de cette aventure. 1600 jours, ça en fait des choses à raconter ; théoriquement, à raison de 3 brossages de dents de 3 min par jours j’atteins déjà les 10 jours consécutifs au-dessus du lavabo, l’analogie au bistrot me fait peur, je m’arrête ici.
Ça en fait des choses à raconter, j’ai moi-même du mal à m’accorder sur l’histoire de ces 4 années, bel exercice néanmoins. Un léger vertige caractérise la scène. Fin des études, Madrid, ICAM3 et on attaque directement le monde de l’ingénierie industrielle que l’on nous a vendu et magnifié pendant cinq longues années. Des bons commerciaux, ça pique. On est malin, on s’adapte, ou s’habitue, dans tous les cas ça va rapidement mieux. Et ça passe, vite.
55 mois de découvertes, d’apprentissages, de rencontres, d’amitiés naissantes et croissantes, d’Amour, de rêves éveillés et de rêves à accomplir, de réponses à discerner.
Merci à toi de m’avoir mené jusqu’à aujourd’hui ; mon puzzle de vie où chacun a sa pièce. « Dans le doute j’y vais ». J’y vais.
Nous sommes seuls artisans de notre vie.
En soif d'une nouvelle page et armé de ma naïveté enthousiaste je m’en retourne aux Amériques, par l’Océan, à la voile. « Pourquoi pas ? »

Merci.