mercredi 9 septembre 2015

Le sablier

Il n'est pas encore l'heure de rentrer. L'espoir d'un vol de dernier instant s'évapore dès mon arrivée à l'aéroport. Les tarifs proposés pour chaque métropole européenne dissuadent toutes initiatives d'un retour immédiat. J'étais prêt à rentrer, le sac à l'épaule, le coeur en berne. La tête vide de toute émotion, je regagne l'auberge de la Candelaria, quartier "bohème" de Bogotà, où j'évolue depuis dix jours déjà. Je retourne le sablier, encore un mois d'aventures, de voyage en solitaire, où chaque matin l'issue de la journée est inconnue. Loterie humaine.

Je décide de m'envoler tout de même, retrouver la rose noire, en parfums et en épines, où elle s'amuse de ses charmes exotiques. Pour quelques heures, l'oiseau de fer me promène par delà la canopée amazonienne. J'essaie, une nouvelle fois, de déchiffrer le message dessiné par les rivières et fleuves. Entrelacés, tracés en boucles dans ce coeur de Terre, ils sont le témoignage d'une supériorité. Mais du haut ciel je n'arrive à en déterminer le sens de lecture. Dans quelle direction peut s'écouler l'encre de ces ces cours d'eau? Ni la position des lagunes, celle des plages et bancs de sable, ou la forme des îles ne me permettent de trouver la clef de ce premier secret. Alors je reste, enfant en rêves, le nez écrasé conte le hublot, à contempler cette magie, ces milliards d'arbres à perte de vue. Le soleil, sur son couchant, décide de mettre en couleur l'étendue végétale qui revêt alors sa robe de soirée.
Mais au règne du roi s'ensuit celui de la reine. Ronde de toute sa forme, la lune entre en scène. Je vole entre les deux astres retrouvés et profite des quelques instants de leur amour sans étreinte, la forêt équatoriale en pied. Mais déjà le roi s'en va en conquête de nouveaux horizons. Veuve d'un jour, la lune peint d'un chagrin d'argent les eaux qui se détachent de la sombre forêt.
L'imposante cordillère andine relaie la jungle. Les premières lumières humaines font naissances. J'atterris. Lima, Perú.

"Il n'est pas nécessaire de courir le monde, de traverser océan et jungle pour sentir le charme des nuées, la sève des arbres, le langage des rivières et des nuits."
Joseph Kessel