lundi 30 mars 2015

La vie à bord

Les journées à bord ont un rythme différent à celui que j'ai pu connaître à terre, le rythme des vagues, heurtant la carène sans discontinuité ni régularité, jours et nuits. La gite et le tangage transforment chaque action du quotidien comme un défi à part entière : lire, cuisiner, servir le café, tenir debout, manoeuvrer, maintenir son matériel dans un endroit précis, dormir et bien d'autres. Poséidon, ou un de ses confrères, m'a préservé du mal de mer mais il me faut tout de même quelques jours pour bien m'amariner. De régulières siestes permettent d'accélérer le processus et aussi, voire surtout, de se remettre de la constante sollicitation mentale et physique pour maintenir la projection de son centre de gravité à l'intérieur de son polygone de sustentation, soit dit : tenir debout sur ses pieds.

La journée
Un peu de lecture segmente nos riches discussions et les longues heures passées à scruter la lente approche de l'horizon sous le vent tandis que s'éloigne celui qui s'étale derrière nous. J'avance oreilles et yeux grands ouverts sur ce nouvel épisode de la vie, pleins phares sur l'omniprésent inhabituel.

La cuisine
Imaginez vous préparant votre met favori dans une caravane lancée à 20km/h sur une piste défoncée en pleine montagne. Ce n'est pas facile. Pour nous non plus, tout bouge, il ne faut rien renverser, rien casser, ne pas se brûler et en plus satisfaire l'appétit du capitaine!
Néanmoins nous mangeons comme des rois, frigo et congel' sont les bras droits du souvent à la tâche JP. En vrai capitaine Christophe a armé le bateau de quelques caisses de vins et bouteilles de spiritueux. Le déssal' est en vrac, nous rationnons l'eau, mais nous ne mourrons pas tous secs, sinon bien conservés dans l'alcool.

Les quarts
On peut parler de désert océanique où les rares caravanes berbères ont laissé place aux imposants cargos, suppliers, porte-conteneurs et super-tankers. Il faut conserver une veille visuelle toute la nuit pour éviter de croiser leurs indéroutables traces. Encore plus important, le vent, notre plus bel allié peut retourner sa veste en quelques secondes et devenir notre pire cauchemar. Un oeil vissé sur la girouette l'autre sur l'anémomètre nous alertent s'il faut rapidement changer de cap ou réduire la voilure. Nous avons divisé la nuit, de 21h à 9h, en quatre quarts de 3h, nous tournons chaque jour.
J'aime bien les quarts, principalement les deux premiers créneaux, seul esprit éveillé sur des centaines de milles à la ronde, roi du bateau, prince de cette nuit. En général aucune manoeuvre à déclarer et si je dois loffer ou abattre de plus de 15˚, réduire ou hisser, j'attrape le capitaine entre deux rêves et lui fait part de mes initiatives avant de mettre la bête en branle.
Seul, pas vraiment, ma compagne la lune illumine de son jeune croissant mille chiens fous, courants corps et âme entre elle et mon vaisseau, psychédéliques reflets sur la houle chaotique. Les nuits où elle ne souhaite me rendre visite, je noie mon amer chagrin dans la contemplation des ballets de dauphins, infatigables danseurs. Ils virevoltent au milieu des éclairs lumineux, fruits du plancton fluorescent, belle réplique à la somptueuse voûte étoilée.

Le lit
Pour ce qu'il en est de dormir à bord, je définirais la situation comme la combinaison du ballotage d'un foetus en son bienveillant ventre maternel et l'impuissante solitude d'une plume dans un tambour jour de carnaval. L'un dans l'autre je m'endors difficilement et rêve très bien.

"La plus triste des procrastinations est de ne pas vivre aujourd'hui"

2 commentaires:

  1. Vidéo de l'horizon :https://youtu.be/sYBMEIzW4TM

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  2. C'est beau mais... l'aquasauna sans toi c'est différent !

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