jeudi 24 mars 2016

Salento sonne

Je me réveille habillé de nostalgie. Quelques longs mois se sont écoulés depuis la dernière fois où je me suis vu ainsi. Rien d'effrayant, au contraire, elle est ma tenue de confort. Mes multiples rebonds entre les Fleurs du Mal et Paroles de Prévert ont sans nuls doutes accéléré cette gestation émotionnelle. Je suis "confortable" en voyage, au même titre que je l'étais au travail.
Salento sonne. Je regarde stoïque, tel le chat en ronrons, un groupe de campesinos tomber les derniers grands pins coiffant la crête qui me fait face. La passivité du voyageur m'a épuisé. Voyageur, toi l'oiseau oisif qui pique tous les fruits.
La question du retour se pose tous les jours, depuis les amarres quittant le ponton rochelais. Le voyage est un escalier, sans fin ni garde-fou. À me pencher sur la marche d'aujourd'hui je revois ce que j'ai laissé, ce que j'aime, loin en contrebas. Vertige.
Mais Salento sonne à nouveau. Il est vingt heure, le petit village montagneux, par son couvre-feu, indique aux mineures qu'ils ne sont plus les bienvenus en rues. En quatre mois c'est la première fois que j'assiste à cette alerte de peur et d'interdit. Loin de mes dix-huit ans, je continue à fêter les retrouvailles improbables d'amis du voyage. Les tournées et la faim grandissantes nous mènent vers leur auberge. Nous y mangeons et transformons, en bons français, nos derniers pesos en vin. Aux canons se substituent les coups de feu. A posteriori un vol de finca dans les montagnes qui bordent Salento. Les militaires ferment la ville et ses commerces. Le repas et la bouteille tombés, il est l'heure de rentrer. Je m'avise rapidement auprès de l'hôte si je peux traverser le village en sécurité, quelques dix minutes me séparent de ma crèche.
Les rues sont désertes, seuls les chiens répondent en échos aux tirs qui résonnent dans mon dos. Le voleur de raison siffle dans mes veines. Je descends le village en inconfort total, rase les murs dans l'ombre de la ville éteinte par l'effroi.
À l'habituel, je retrouve la chaleur conviviale du dortoir en dernier veilleur.

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