lundi 6 juillet 2015

Desert storm

La Guajira partage avec les autres déserts du monde de nombreux traits communs, il est sec, aride, inhospitalier, imposant. Avec le village de Punta Gallina, la Guajira est la pointe Nord du continent Sud-américain. Quelque soit la température qui y règne, un désert est impressionnant pour la vie qui lutte pour s'y développer, inlassablement, précieusement. Au milieu des immenses étendues de sable un cactus brave le vent lacérant. Il est parfois accompagné d'arbres malingres, rachitiques, au premier regard branches sans vie, au second minimalisme survivaliste. Au plus surprenant se détache un fébrile bosquet, clin d'oeil de vie au milieu d'un visage de poussières, deux à trois espèces de cactus se marient à autant d'arbres. Le plus irréel, le plus fou et magique à la fois est la faune qui ose y survivre voire s'y développer. Quelques chèvres, en recherche vaine d'une source d'eau arpentent le plateau soufflé. Des vaches, handicapées par leur moindre agilité, se retrouvent cuirassées des rameaux applatis et charnus, raquettes aux crocs acérés des cactus. Mais, dans la grande majorité de cette région, rien ne vie, ce qui n'est pas brûlé par le soleil est balayé par le fouet de sable, instrument d'un vent omniprésent.
Le peuple Wayuu est le rassemblement indigène le plus présent en Colombie, plus de la moitié de la population de la Guajira en est composée. Comme les cactus, les arbres rachitiques, les chèvres arpenteuses et les vaches cactées, les Wayuus s'accomodent de la vie désertique. De la cabane isolée au village côtier la vie est similaire, l'activité se concentre autour des modestes cabañas. La fonction de ces huttes est élémentaire, pouvoir s'y reposer à l'abris du soleil et du vent. Le produit en est très simple, rustique dirait Robin, quatre murs faits de l'âme séchée des cactus délimitent la surface de la pièce, un toit en branches ou tôles protège du soleil. Les ouvertures, portes ou fenêtres, sans porte ni fenêtre, permettent au vent de circuler constamment et de maintenir une température chaude et agréable à vivre. Le sable, du désert ou de la plage, ne connaît pas la différence entre l'extérieur et l'intérieur de la cabane, il charme tous les pieds de sa chaude caresse. Entre les murs un râteau remplace le balais. J'aime marcher devant les maisons tôt le matin, le sable ratissé prend l'allure de la neige damée des jours d'hiver, douceur fragile et éphémère. Les hamacs en sont l'unique aménagement, accrochés à la structure plantée dans le sol, ils balancent paisiblement au dessus du sable. Ils seront, selon l'heure, lits, canapés, fauteuils ou armoires et sans les déplacer ils prendront tour à tour la forme d'une chambre ou d'un salon.
Avec Robin et Ben, quelques rencontres, beaucoup de hasard et plusieurs véhicules nous ont menés jusqu'à Cabo de la Vela, village Wayuu qui s'étend le long d'une large baie. Nous y découvrons les rudiments de la vie indigène, la simplicité suffisante des cabanes, l'artisanat local, la contagieuse nonchalance indigène, le soleil de plomb, le vent constant et la mer plate. Quelques centaines de foyers s'étirent autour de la piste qui fait parallèle à la plage. Nous y vivons pieds et torse nus une sobriété heureuse. Cabo de la Vela est un endroit magnifique, pittoresque et hors du temps.
Mais Cabo est différent des autres villages pré-colombiens, un illuminé y a amené non pas un ballon, ni une guitare ou même un jeu de cartes, le visionnaire leur a apporté et enseigné le kitesurf. Dans un village où l'électricité est seulement présente quatre heures par jour, où l'eau douce est une denrée rare et précieuse, les jeunes indigènes s'amusent à faire du kite. Dans ce drôle de paradis, il y a plus d'ailes que de ballons et de vélos réunis. Les enfants abandonnent quelques heures leurs bouchons-jouets qui creusent les empreintes de sable au profit d'impressionnants vols-plané par dessus les maigres bateaux de pêcheurs. Impensable contraste.
Pourquoi aller plus loin quand tant de belles énergies sont réunies dans un même endroit? Nous restons une dizaine de jours, ponctuant nos paisibles journées de retraite par des cours de kitesurf, dormant dans nos hamacs, à quinze mètres de la mer, cabane ouverte où les courants d'air et les locaux sont les bienvenus.
La providence, l'heureux hasard et l'inconnu nous ont menés dans ce paradis perdu, pas vraiment pionniers encore moins suiveurs. Nous y vivons surement les dernières heures d'un équilibre candide et sain avant l'incontournable arrivée de l'ogresse occidentale.

"Lorsque le désir résiste aux premières atteintes du bon sens, on lui cherche des raisons. Et on en trouve qui ne valent rien. La vérité, c'est qu'on ne sait comment nommer ce qui vous pousse. Quelque chose en vous grandit et détache les amarres, jusqu'au jour où, pas trop sûr de soi, on s'en va pour de bon."
Nicolas Bouvier

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